Au départ, ce sont des vaguelettes. Une histoire de cyberharcèlement comme il s’en passe tous les jours sur les réseaux sociaux, sans qu’on ne se donne vraiment la peine de savoir qui le premier a lancé les hostilités. Le résultat : une jeune lesbienne reçoit environ 200 messages de haine et menaces de mort à la minute sur Twitter et ne peut plus fréquenter son lycée. On le déplore, mais ça se passe en France, ce pays qui monte tout en épingle, alors on ne se sent pas immédiatement concerné.e.s. On remet notre smartphone en poche.
Récupération médiatique
Puis ça devient la tempête… mais dans un verre d’eau ? Des médias relayent l’affaire, mais ils sont classés « peu recommandables ». Marianne, Valeurs actuelles,… Ca sent la récupération politico-médiatique à plein nez. Nous, associations militantes, commençons à avoir l’habitude que les premier.e.s à foncer tête baissée pour dénoncer l’homophobie le fassent uniquement et opportunément au détriment d’une autre communauté – les musulmans. On se demande toujours où iels sont quand d’autres agressions lesbophobes, physiques ou symboliques, ont lieu. Alors on reste à l’écart, prudent.e.s. On remet notre smartphone en veille.
On actualise notre fil et là, ça pleut : Libé, l’Obs, et autres journaux plus fiables, relaient « l’affaire ». Le cas Mila devient emblématique.
Lâcheté étatique
Le sol hexagonal tremble et l’appareil étatique se met en branle. Deux enquêtes sont ouvertes : une pour menaces de mort et l’autre pour… incitation à la haine raciale. On scroll à l’envers. « On peut revenir au début et faire pause ? Il s’agissait bien d’une ado, lesbienne, draguée, qui rembarre un relou, lequel, vexé, la traite de sale gouine (sic) ? Et elle, de répliquer exaspérée, qu’elle déteste les religions, en particulier l’islam : « de la merde » (sic) selon elle ? » C’est la goutte d’eau : après la récupération médiatique, la lâcheté étatique dans toute sa splendeur. Ce même Etat structurellement raciste qui repose sur des fondations, des murs porteurs et des plafonds racistes. Cet appareil étatique qui trinque aux beaux jours de l’islamophobie ; c’est celui-là qui vient redorer son blason aux dépens d’une personne dont l’intégrité physique est en danger ? Qui donne un peu à la chèvre, un peu au chou, pensant ainsi éviter que la toile s’enflamme davantage ? Et qui envoie donc comme message que la déclaration d’une mineure et des torrents d’insultes et de menaces se valent ?
En faire une affaire d’Etat en l’exposant est irresponsable de la part de la justice qui est censée être impartiale. De façon purement paradoxale, les personnes qui l’envoient en justice se rendent responsables d’incitation au harcèlement. Faire de cette jeune fille une personne publique est en soi exécrable. Dans cette affaire, la publication à laquelle elle répond est inacceptable, son commentaire l’est tout autant, mais la façon de résoudre le conflit est totalement absurde.
Est-ce là vraiment la justice que nous souhaitons? Une justice populaire, non pas aveugle, mais aveuglée par les émotions et la haine, qui a perdu de vue le fait qu’elle assigne une mineure ? Que faisons-nous de nos droits les plus élémentaires, celui à un jugement équitable et impartial, celui à l’intégrité et à l’honneur, celui à la non-immixtion dans nos vies privées et familiales ? Que faisons-nous du droit à l’oubli ? Que faisons-nous du droit à l’erreur ? Que faisons-nous enfin du droit d’avoir un jour 16 ans ?
C’est en repensant à notre propre adolescence et aux propos qu’on a pu tenir sous le coup de la colère et de l’exaspération, qu’on se dit qu’heureusement, on ne s’est jamais trop livré.e.s publiquement sur Instagram et Twitter, qui favorisent les opinions à l’emporte-pièce, les menaces irréfléchies, les découpages peu scrupuleux et qui finissent même par dicter son agenda à la justice d’un pays.
Alors aujourd’hui, sans hashtag, nous sommes les CHEFF et nous pensons à Mila qui pourrait être une de nos membres. Et à ce titre, nous sommes solidaires de sa situation.
Le CA des CHEFF